Canalblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Invités de Guy Allix, poète

Michel Baglin

Michel Baglin

 

L'ami Michel nous est décédé le 8 juillet 2019. Cette année restera pour moi tout d'abord l'année de la perte de deux amis : Pierre Ginguené (1952-2019) et Michel Baglin (1950-2019). Quand les amis sont pour le petit "sans famille" que je suis une de mes plus grandes richesses, autant dire que c'est une année noire.

Je me suis aperçu que bizarrement je n'avais pas de page sur Michel dans mon anthologie subjective. Il me semblait pourtant bien que... C'est justement quand je voulais transférer ici sa page dans les hommages ainsi que j'ai pu le faire pour Vinod Rughonundun ou Jean Rivet que je me suis aperçu de cette absence.

Je poste ici deux articles que j'ai écrits sur Michel. L'un a été publié dans Recours au poème le 6 septembre 2019. L'autre a été écrit pour un Fil de mémoireS organisé par Jeanne Orient au café de Flore le 17 septembre 2019.

Je posterai d'autres poèmes de Michel par la suite.

 

C’est d’abord une rencontre lors du Printemps de Durcet, je ne sais plus en quelle année exactement mais pas avant 2010 (1). Avant cela j’avais lu Michel et il m’avait même chroniqué mais il fallait cette rencontre dans ce lieu magique qu’est Durcet (« village en poésie » qu’on ferait mieux d’appeler “capitale de la poésie” ) pour le connaître vraiment.

Une amitié coup de foudre et je sais trop que ces amitiés-là au contraire des coups de foudre amoureux sont le plus souvent durables. Le dieu de l’amitié, au contraire de Cupidon, qui s’en fout certains jours, ne tire pas ses flèches au hasard.

Et dès la première fois, entre autre chose, peut-être parce que j’avais dû entonner lors de la soirée du samedi une ou deux chansons du maître avec ma plus fidèle fiancée (cette guitare dont je gratte le ventre maladroitement mais le plus amoureusement possible) nous avons évoqué Brassens et alors est né déjà ce projet d’un livre sur lui. Deux idées ont vu le jour ensuite : un dialogue où l’on se renverrait des chansons commentées (je pensais par exemple au Blason que je trouve sublime) et un livre sur « la morale libertaire » de Brassens tant il nous semblait que ce point n’avait pas toujours été bien compris. Et notre vision de la chose était convergente.

Nous en reparlons à Camps-la-source invités tous deux au festival par l’amie Colette Gibelin au printemps 2017. Mais là encore l’étincelle n’est pas là. Bien sûr avec la distance Toulouse-Rouen ce n’était pas facile de se lancer… La suite nous prouvera le contraire.

La suite, ou plutôt le vrai début, c’est à Sète en 2017. Je viens aux « Voix vives » pour la première fois, invité par l’amie Colette qui a loué un appartement. L’un des passe-temps favoris de Michel là-bas, en dépit d’un agenda très chargé, c’était d’organiser des repas pour faire se rencontrer ses amis : Michel était un amoureux de la vie, de la relation humaine et de l’amitié tout simplement. Et lors du premier repas où je fus convié, nous nous mîmes tous deux à entonner a capella moult couplets et un jeune couple magnifique vint même rejoindre la table de vieux rieurs qui s’égosillaient pour chanter avec nous. Cela donna l’idée à un certain Jacques André que je ne connaissais jusqu’alors que de nom de nous lancer ce défi : « Et si vous m’écriviez un « Je suis… Georges Brassens » les gars ! La soirée était vraiment magique ! Jacques nous annonça que c’était pour dans deux ans et que tout serait précisé l’année suivante. Mais je me dois de dire que dès septembre 2017 je reçus de Michel le premier jet du chapitre 1 du livre. Il avait été journaliste pendant trente ans et un journaliste ça ne traine pas comme un petit poète besogneux. Je dus le retenir un peu pour qu’on ne présente pas le tapuscrit un an avant la date limite.

Nous nous sommes donc retrouvés l’année suivante à Sète pour de nouvelles agapes et le vrai lancement du projet avec notre bel éditeur. Ce fut le début d’une magnifique aventure. Et la confirmation d’une vraie amitié. Jacques nous avait dit que l’écriture à quatre mains c’était compliqué et… parfois conflictuel. Il n’en fut rien. Nous alternions les chapitres et chacun corrigeait l’autre un peu ou beaucoup. Je me dois de dire qu’il m’a plus corrigé que je ne l’ai fait. Mais mes corrections ou suggestions étaient aussitôt acceptées avec cette humilité qui caractérisait, entre autre qualité, Michel. Et il en fut de même de mon côté tant j’avais confiance en sa sureté de jugement et de plume. Cela nous permettait aussi des discussions passionnantes dont notre éditeur était le témoin privilégié, quelque peu admiratif de notre complicité. Nous nous sommes enrichis mutuellement sur la connaissance de notre maître et nous échangions aussi sur tout ce qui tournait autour du projet de livre ainsi pour une demande de préface, ce toujours sous le regard attentif de Jacques.

Une belle aventure d’écriture mais surtout une expérience humaine rare. Le fait est que Brassens c’était un univers où nous nous retrouvions entièrement Michel et moi et où nous allions, dans les passages plutôt consacrés au idées du bonhomme, au plus profond de nous-mêmes : nous avions tant hérité de lui. C’était une langue commune, une culture qui permettaient un dialogue intense. Je ne peux bien sûr donner un avis objectif sur ce que nous avons fait ensemble . Les écritures de Michel en tout cas me semblaient d’une extrême justesse. J’avais vraiment l’impression de lire Brassens lui-même. Et puis ce livre n’a pas vocation à être un chef d’œuvre ou un ouvrage de référence sur le maître. Des ouvrages de référence il y en a des tas sur Georges Brassens. Réaction de la fille de Gibraltar, impasse Florimont quand je lui ai dit que je préparais un livre sur Brassens avec un ami : “Encore un” ! Il s’agit plutôt simplement d’un livre de vulgarisation au sens noble du terme, il s’agit d’une porte d’entrée que peut franchir même un collégien. C’est là du reste le but de la collection. Et la bio à la première personne vous prend le lecteur par la main et par le cœur.

 

Et puis un matin de janvier je crois Michel me téléphone. Nous avons terminé l’essentiel du tapuscrit. Il m’annonce sa maladie. Il est très lucide devant sa gravité mais il veut se battre. Il me passe entièrement le relais pour ce qui suit : épreuves, corrections, ajouts etc. Il doit d’abord subir une lourde opération, puis c’est la chimio dont les médecins ne lui ont pas caché les effets redoutables. L’opération sera longue et difficile. Mais Michel passe le cap. L’ami Pierre Maubé qui est en contact avec Hélène, la fille de Michel et Jackie, son épouse, m’informe du mieux qu’il peut.

Michel me téléphone une fois bien passé l’opération. Il affronte courageusement mais me dit qu’il est très diminué par la chimio. Il me confirme qu’il ne peut plus suivre le travail (mais il a tant donné déjà ! ) et me renouvelle sa confiance.

Je continuais de le mettre en copie de mes échanges avec Jacques et il répondit une fois qu’il approuvait toutes mes corrections. Puis ce fut le silence ou presque jusqu’au 17 juin. Il venait de recevoir ses exemplaires d’auteur et me dit sa satisfaction devant le livre. Il m’annonçait qu’il rentrait le lendemain à l’hôpital pour une nouvelle chimio, Les médecins eux-mêmes avaient avoué l’échec de la première. C’était donc une chimio de la dernière chance : « Soit j’obtiens un répit, soit… on connait la suite ». Il avait du mal à parler, ne retrouvait plus l’adresse et le téléphone de Jacques qu’il avait pourtant… Tout devenait très difficile.

Suivirent trois semaines d’inquiétude et de silence. Comme depuis le début je ne voulais pas trop écrire directement à Michel afin de préserver son repos je n’avais aucune nouvelle. L’ami Pierre Maubé n’avait cette fois pas plus d’informations que moi et ce fut Marie Rouanet qui m’annonça au téléphone le vendredi précédant le décès que Michel avait été mis dans le comas et qu’il ne s’en réveillerait pas. Le lundi suivant j’apprenais que Michel était parti rejoindre le paradis des poètes et….. des mécréants.

Notre aventure commune semblait s’arrêter là et Michel avait écrit avec Je suis… Georges Brassens l’un de ses derniers ouvrages sinon le dernier. Alors que je savais que cela se terminerait ainsi la douleur était là, cruelle.

Jacques et moi nous nous sommes demandés si nous pouvions, dans ces conditions, continuer la promotion du livre. Nous avons eu envie d’arrêter. Par décence et respect et douleur. En même temps nous étions conscients que Michel nous aurait engueulés de faire cela s’il avait pu.

Le lundi 15 juillet à Seilh après la cérémonie quand je lui ai dit au revoir, Jackie m’a fait promettre de porter le livre. Je ne pouvais pas refuser car je savais que désormais Michel vivrait avec les mots qu’il avait publiés. Bien sûr en priorité ses superbes poèmes, ses romans, son théâtre, d’autres livres comme ses Lettres d’un athée à un ami croyant que j’ai chroniquées et qui posent des questions essentielles aujourd’huiMais je sais aussi, par sa fougue d’écriture sur ce livre où il a tant donné, combien il lui tenait à cœur. A parcourir un peu l’ouvrage aujourd’hui j’entends la voix de Michel dans celle de Brassens et je relis aussi tous nos échanges si complices.
Je sais combien Michel était proche de Brassens par son exigence, sa générosité, son goût pour le rire, son indépendance, sa fidélité, son sens de l’amitié, sa passion de la liberté et de la justice, sa passion pour la poésie… C’est une part importante de Michel, un peu d’une flamme qui n’est pas près de s’éteindre.

Merci Michel ! C’était si bon de te savoir ici. C’est si beau ce que tu nous as laissé pour mieux habiter le monde.

(1) (1) Ma grande amie Marie-Josée Christien me précise que c'était en 2012

Recours au poème, 6 septembre 2019 

 ***

Michel Baglin

 Dans l’amitié pour mieux habiter le monde

 

 Il me faut d’abord parler d’amitié. Parler d’un ami. D’une histoire d’amitié. Celles-là sont les plus belles.

 Michel et moi nous nous sommes rencontrés pour la première fois assez récemment, c’était en 2012 au printemps des poètes de Durcet dans l’Orne, un très beau lieu de poésie qui convenait bien pour cette occasion. Avant, je l’avais lu bien sûr, dès 1988 il m’adressait Les mains nues  et il m’avait aussi chroniqué sur son beau site de Texture. Je savais déjà par sa poésie même qui ne pouvait pas mentir que Michel était un homme fraternel et généreux qui savait si bien rendre grâce au monde et aux hommes dans L’alcool des vents notamment qu’il m’avait envoyé avant cette belle rencontre. Je relis aujourd’hui sa dédicace où il levait son verre « d’alcool des vents » à ma santé dans un appel d’amitié. Oui, sa poésie ne pouvait mentir, elle disait tout de lui et j’aime ces œuvres qui font corps avec l’homme.

La rencontre fut véritablement magique et ce fut pour moi, comme pour mon amie Marie-Josée Christien qui m’accompagnait, un coup de foudre amical. Ces coups de foudre-là ne mentent pas, ils naissent d’une connaissance très profonde en nous de l’autre. Tout correspondait à ce que j’avais deviné et il y avait en plus de cette chaleur de sa poésie, ce rire et cette fantaisie à quoi je reconnais aussi les hommes et femmes vrais. C’était un grand rire franc qui éclatait comme pouvait chez lui éclater la révolte devant l’injustice et le mensonge. C’était un rire d’exigence et de vérité. Un rire qui donnait à l’autre, à tous les autres. Un rire de pleine confiance. Et j’aime ce rire qui me met chaque fois en confiance justement. Je crois que c’était Alphonse Allais qui disait « Méfiez-vous des gens qui ne rient jamais : ce ne sont pas des gens sérieux ! ». Michel était un homme très sérieux oui ! Il riait beaucoup !

Et puis, en dehors de la poésie nous nous sommes découvert une passion commune pour un certain Georges Brassens qui aimait beaucoup rire lui aussi. Très vite nous avons songé à un livre sur lui. J’avais de mon côté déjà ce projet sur le chanteur-poète qui fut mon véritable initiateur et un peu un papa d’adoption pour le petit poète qui n’avait pas eu l’heur d’avoir justement un père. Mais là l’évidence me disait que ce livre je ne pouvais l’écrire qu’avec ce nouveau frangin. Nous avions écouté, lu et suivi tous deux le même Brassens, celui d’une morale libertaire exigeante, généreuse et vraie qui, selon nous, n’avait pas toujours été bien comprise. Il restait à trouver les modalités pour concrétiser le projet car nous habitions loin l’un de l’autre.

Nous nous sommes retrouvés ensuite lors du printemps 2017 au beau festival de Camps-la-source organisé par notre amie Colette Gibelin. Les liens se sont encore resserrés. Je lisais toujours plus Michel notamment ses Chemins d’encre. J’ouvre le livre en écrivant ceci et je lis écrit au crayon à papier sur la page du titre : « un livre sublime ! ». J’ai rêvé d’en faire une recension et puis mes mots n’ont jamais été à la hauteur d’un tel livre. J’ai réussi en revanche à chroniquer ce magnifique petit ouvrage : Lettres d’un athée à un ami croyant paru en 2017 aux éditions Henry.  Les lettres, adressées à un ami fictif, étaient écrites à la suite des attentats de Charlie Hebdo et posaient d’importants problèmes autour du phénomène religieux. Il disait sa profonde révolte non seulement contre ces actes barbares venant d’êtres décérébrés mais aussi contre ces manipulations qui finissent par vouloir interdire toute critique d’une religion. Un livre de liberté et d’une grande lucidité : ces deux-là vont toujours ensemble ! Il s’insurgeait contre ce délit de blasphème qu’on voudrait nous imposer pour museler la liberté de dire et de penser. Feuilletant à nouveau le livre aujourd’hui je m’aperçois que Brassens y est évoqué dès la première page en même temps que l’amitié avec l’enterrement d’Yves Rouquette, un très vieil ami de Michel, le jour même de l’attentat : ce « mercredi noir ».

Lors de cette rencontre de Camps-la-source nous évoquons une nouvelle fois ce projet de livre mais rien ne se fait vraiment encore. C’est vrai que Rouen où j’habite est loin de Toulouse… Il faudra attendre quelques mois pour comprendre que l’amitié, l’écriture et la passion savent vaincre les distances les plus longues. Ce sera dans un troisième lieu, magique lui aussi, que s’allumera l’étincelle.

Nous sommes en juillet 2017. Mes amies Colette Gibelin et Brigitte Broc ont loué un appartement pour la durée du festival de Sète et elles ont toutes deux l’idée d’inviter le « petit poète ». A nouveau donc je retrouve Michel égal à lui-même. Et je m’aperçois que l’une de ses passions à Sète est d’organiser des repas le soir pour réunir des amis qui, alors, peuvent faire connaissance. Il y passe un certain temps chaque jour, ce en dépit d’un agenda très chargé qui le voit intervenir lui-même pour des lectures et présenter d’autres poètes. Il me demande pour cela tel numéro de téléphone qu’il n’a pas, ceux de Catherine Jarrett ou de Brigitte Broc par exemple. On voit là encore combien, pour Michel, l’amitié était importante et la rencontre. Michel semait autant les amitiés que les poèmes. Un point commun encore avec le maître sur qui nous allions écrire. Il avait ce sens inné de la fraternité qu’il dit si bien dans « Frère de terre » (Un présent qui s’absente) :

«Je n’ai pas de frères de race,

J’ai des frères de condition,

des frères de fortune et d’infortune,

de même fragilité, de même trouble

et pareillement promis à la poussière

et pareillement entêtés à servir

si possible à quelque chose,

à quelqu’un même d’inconnu,

à quelque frère de même portée

de même siècle, ou d’avenir… »

Nous retrouverons un bel écho de ce poème en fin d’intervention.

Revenons à nos agapes, fraternelles justement. Ainsi le soir nous formons une joyeuse équipe autour d’une tablée. Nous parlons fort, nous rions fort et nous chantons encore fort… et parfois un peu faux mais qu’importe ! La première fois je n’ai pas apporté ma guitare mais très vite nous égrenons a cappella des couplets, de Brassens naturellement, et nous évoquons tous deux le bonhomme. En bout de table un personnage au sourire malicieux dont je connaissais alors juste le nom et le travail d’édition, Jacques André, intervient soudain entre deux chansons : « Eh les gars ! et si vous m’écriviez un Brassens tous les deux pour ma collection « Je suis… » ! ». Cette fois ça y est : c’est sur les rails (et les rails Michel connaît !).

Le livre doit paraître en 2019, nous l’évoquons plus précisément en fin de ce repas qui vit un couple de jeunes amoureux se joindre à nous pour entonner, avec les vieilles barbes, des chansons de Brassens que ces deux jeunes amoureux connaissaient aussi bien, et parfois mieux, que nous. Ce projet nous a enthousiasmés tous les deux. Jacques nous avait dit : « Bon les gars vous cherchez la doc pendant un an et après vous attaquez l’ouvrage ! Ne vous précipitez pas dès maintenant ». L’ouvrage devait paraître deux ans plus tard mais dès le mois de septembre je recevais de Michel le premier chapitre auquel il n’y avait quasiment rien à retoucher. Et je dus le freiner sinon l’ouvrage allait être achevé par lui seul deux mois plus tard ! Michel ne traînait pas comme le petit poète besogneux et procrastinateur que je suis. Encore un aspect de sa générosité cette hâte de donner.

Un an plus tard nous nous retrouvions à Sète encore et le bel éditeur nous donnait le cahier des charges. Il avait vu notre amitié et notre enthousiasme mais il lâcha pourtant « les écritures à quatre mains ça peut être formidable mais parfois aussi difficile ! ».

Il n’en fut rien. Ce fut une merveilleuse aventure. Nous avions un peu défini au préalable les différents chapitres qui étaient a priori répartis entre nous deux. Et nous nous envoyions le travail. Chacun corrigeait l’autre un peu ou beaucoup. C’est-à-dire que je corrigeais Michel un peu et Michel me corrigeait beaucoup. Tout cela se faisait sous le regard de l’éditeur qui recevait tous les échanges avec de beaux débats fraternels où nous échangions des informations. Oui l’écriture du livre fut un bonheur au moins pour moi. Et vers la fin janvier nous avions terminé l’essentiel. Il restait des points techniques à aborder, les épreuves à corriger et quelques petits travaux comme la présentation de « La bande de cons » par exemple.

C’est là que Michel m’a téléphoné… Résumons : « Guy, voilà, mauvaise nouvelle, j’ai un cancer. Je vais être opéré dans une dizaine de jours. Puis ce sera la chimio. Je vais me battre mais ce n’est pas gagné je le sais ! Je te fais confiance pour la suite de notre Brassens, les corrections et le reste… Même si tout se passe au mieux je n’aurai sans doute pas la force de continuer. » Nouvelle terrible mais je voulais croire à une fin heureuse : comment Michel Baglin si plein d’énergie et de rire encore en juillet, si plein d’enthousiasme et d’efficacité dans l’écriture de notre livre, comment Michel pourrait-il succomber à un « petit cancer », comme disait notre maître… qui perdit ce combat lui aussi ? L’opération fut très lourde, je passe les détails. Mais Michel surmonta l’épreuve. Puis ce fut la chimio et lui-même me dit que les médecins  n’avaient pas caché que ses effets étaient redoutables. J’hésitais à trop lui écrire car je voulais le ménager. L’ami Pierre Maubé, en lien avec Jackie et Hélène

Baglin, me tenait un peu informé. Pendant ce temps le livre allait vers sa parution.

Michel me téléphona deux ou trois fois pendant cette période et m’envoya un ou deux messages. Il intervint même une fois dans les échanges avec Jacques où je le mettais en copie, juste pour écrire qu’il approuvait toutes mes corrections. Début juin le livre paraissait pour le marché de la poésie. Le 17 juin je recevais le dernier appel de Michel. Il venait de recevoir ses exemplaires d’auteur. Il avait du mal à parler et il était très essoufflé. Il me dit sa satisfaction devant le résultat de notre travail et de celui de l’éditeur. Puis il m’annonça qu’il rentrait le lendemain à l’hôpital pour une nouvelle chimio. La précédente avait complètement échoué de l’aveu même des médecins. Je n’eus plus de nouvelles ainsi que mon ami Pierre Maubé. L’inquiétude était de plus en plus forte et je n’y croyais plus. Le vendredi  5 juillet c’est l’amie Marie Rouanet qui m’annonça au téléphone que Michel avait été mis dans le coma et qu’il ne se réveillerait pas. Vous connaissez la suite…

J’ai annoncé le décès de Michel à notre bel éditeur. Effondré, il me dit qu’il n’avait plus la force de défendre le livre, et qu’il trouvait cela indécent même. Puis il se reprit un peu… « En même temps Michel nous engueulerait si nous ne défendions pas le livre ». Nous l’avons défendu d’autant plus que Jackie Baglin m’a fait promettre à l’issue de la cérémonie à Seilh de porter ce livre, son dernier livre, pour que Michel continue à vivre par ses mots.

Je suis ici pour cela encore. Oui, faire vivre ce livre pour faire vivre Michel. Car Michel est tout entier dans tout ce qu’il a écrit. Il n’y a pas une feuille de papier à cigarette entre l’homme et l’œuvre chez lui. Donc je sais qu’il est là dans ces lignes sur ce poète chanteur qu’il admirait comme dans tous ses poèmes ou ses autres livres, romans, nouvelles, pièces de théâtre, essais.

Quand je le lis aujourd’hui, et je le lis beaucoup depuis le 8 juillet, j’entends sa voix profonde comme je l’ai entendue un soir à Sète dans une lecture de L’alcool des vents. Il faut le souligner aussi : Michel était aussi un merveilleux diseur de poèmes et c’est un fait rare pour les poètes qui parfois ânonnent presque leurs propres textes. Chaque mot, avec sa voix chaude, avait ce poids terrible de sang, de vie, de sens, et surtout d’amour. C’était un diseur vrai parce que très humble aussi. Et cette humilité était présente aussi dans tous ses poèmes. Elle est notamment très présente dans la dernière partie de Un présent qui s’absente. Dans cette suite de tercets qui s’intitule, comme par autodérision, Payé de mots. Il est si dur de dire l’humilité et le doute. Michel y a excellé dans ce passage.

« Oui, j’ai peur de me fourvoyer souvent,

De n’être pas vrai, de me payer de mots ;

Pauvre rétribution sans doute, mais quelle image !»

Plus loin :

« Comme vous, j’en serais resté à demander encore

Si ce que nous avons vécu de plus intense

Pouvait trouver dans nos patois sa vérité. »

Michel va au plus loin dans le doute de l’écriture même, lui si prompt à défendre la poésie des autres. Et dois-je le dire ? ce doute et cette humilité me rappellent encore Brassens. J’avais trouvé l’expression « anar sceptique » pour qualifier le maître et Michel avait souscrit. Michel aussi était un « anar sceptique ». Et son scepticisme interrogeait la poésie même.

Au bout de ce beau texte final de Un présent qui s’absente, il donne à son œuvre une ambition très modeste, bien loin de ces rêves de gloire éternelle de nos petits Oronte de service. Cela sonne comme un testament sur son œuvre, un testament d’une grande générosité :

« Voilà, des livres sont là, que j’ai signés.

Mais si je m’estime quitte, c’est parce qu’ils m’ont offert

Moins le soutien des béquilles et des bras secourables,

Que l’espoir d’avoir peut-être aidé quelqu’un,

Entre mes lignes, à reconnaître son énigme,

A habiter son paysage »

Dans les derniers mois de sa vie, Michel était dans la souffrance, il n’a pratiquement pas pu écrire ni lire mais il a eu encore la force de pousser un dernier poème comme on pousse un cri. Un testament là encore, un testament amoureux dédié à Jackie. Un texte très émouvant. Je terminerai par lui :

Notre planète

 

Tant de mêmes paysages peuplent nos regards !

Depuis plus d’un demi-siècle ensemble nous jouons les balanciers sur la crête des jours traversés, craignant pour l’autre, se tenant du bout des yeux, nos pieds sur la corde raide

comme nos cœurs cherchant l’équilibre, s’inventant les gestes simples de la confiance trouvant l’appui à demi-mot.

Sous la poussière retombée des années,

nos vies ont composé une planète familière

une géographie de lieux conquis et de pays inventés où nos deux enfants poussent leur chemin.

Cette terre nous est commune,

elle nous nourrit

tandis que notre mémoire frémit

au murmure des mêmes sources,

et l’on partage l’un et l’autre les sentiers d’alpage qui nous conduisent encore par la pensée

sur l’épaule nue de la montagne,

les ravines et les passages d’éboulis

et l’éblouissement de la mer scintillant à nos pieds. Depuis plus d’un demi-siècle l’amour

nous a mis en route ensemble tant de fois,

tant de fois nous a dessiné derrière l’horizon du quotidien des gares de campagne, des terminus d’utopie,

un môle, un phare, un bout de terre, une île

et les petits enfants de l’avenir.

Des champs de lavande aussi pour baigner nos caresses, des chambres de pénombre pour enrober l’été.

Nos corps se connaissent et s’épellent du bout des doigts. Ils ont toujours crainte de se perdre

et se cherchent la nuit comme nos sourires devinés.

Ils ont toujours crainte de se perdre

pour s’être un peu perdus naguère

en des courants contraires

sans cesser de se connaître pourtant

ni de retrouver leurs formes dans le moule de nos mains. Plus d’un demi-siècle d’amitié ont arrondi nos angles,

le miel de la complicité étale sa douce lumière

sur les blessures et les angoisses de nos âges.

Un printemps toujours soulève nos terres

de ses pousses neuves,

de sa verdeur de promesse.

Et le gros coton gris des ciels de novembre n’y peut rien."

© Michel Baglin

Merci Michel ! Sais-tu que moi, le mécréant, quand je pense à toi j’ai bien du mal à croire à la seule mort. Je me dis que tu es là et que peut-être tu vas arriver tout à l’heure pour nous inviter avec un grand rire à un de ces repas d’amis dont tu avais le secret ! Et c’est toi qui lèvera ton verre de Perlé à notre santé.

Nous rendons grâce au poète que tu fus et que tu es à jamais Michel ! Je rends grâce à l’ami trop tard venu mais qui ne quittera plus jamais ma pensée.

Guy Allix, texte prononcé au Fil de mémoireS organisé par Jeanne Orient au café de Flore le 17 septembre 2019.   

 

Publicité
Invités de Guy Allix, poète
  • Ce blog présente les invités de Guy Allix (complément du blog Guy Allix, poète) : poètes, artistes, éditeurs, chanteurs, écrivains. Il rend aussi hommage à des poètes, écrivains, artistes particulièrement importants pour l'auteur.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Visiteurs
Depuis la création 10 024
Publicité